18 avril 2006

Cage : Back From Hell


Si vous vous êtes déjà procuré le dernier numéro de Tyler, vous savez déjà que Cage est l'un des rappeurs les plus percutants et dérangés, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous l'avions placé au cœur de notre dossier "Les rappeurs blancs sont ils fous ?". Mais si vous vous voulez en savoir plus sur la folie qui l'habite et le chemin de croix par lequel il a dû passer pour accoucher de Hell's Winter, son meilleur album à ce jour, alors jetez vite un coup d'œil à cette interview exclusive et intégrale dans laquelle il nous parle de son nouveau LP, de son ancien label et de comment il a assisté à la transformation de Zevlove X en M.F. Doom.

Lyrics : Théophile Haumesser

Pourquoi avoir appelé ton dernier album Hell's Winter ?
C'est juste un jeu de mots que j'ai trouvé. Après Movies For The Blind, je voulais à nouveau trouver un titre d'album dans lequel il y ait un jeu de mots et, au bout du compte, ça a pris un sens tout autre, vu que j'ai changé de mode de vie et que tout va bien mieux pour moi maintenant.

Tu es passé par un bon nombre d'épreuves récemment, est-ce que cet album a été un moyen pour toi de canaliser ton énergie ?
Oui, absolument. Cet album, c'était comme un coup de foudre, c'était mon amante, ma femme, ma compagne, mon chien, mon tout. Dedans, tu trouves toute ma souffrance, tous mes regrets, tout ce qui me pourrissait la vie. Dans ce disque, J'ai balancé tout ce par quoi je suis passé. C'est une œuvre très personnelle.

Mais qu'est ce qui t'est arrivé pour que tu changes à ce point ?
C'est juste qu'un matin, j'ai eu l'impression de me réveiller dans la peau de quelqu'un d'autre. C'est comme ça que je me suis senti, tu comprends ? J'avais l'impression de ne plus être le même. C'est peut-être simplement que j'ai grandi sur le tard. Faire un disque aussi intime que celui-ci a été un moyen pour moi de remettre ma vie sur les bons rails, grâce à la musique. Ça a été une occasion pour moi de me libérer de toute la frustration que j'avais accumulée au fil des années. J'étais pris dans une spirale descendante, j'ai touché le fond, mais j'ai continué de sombrer. Cet album est le reflet de mon changement, musical, physique, mental, émotionnel. Tout au long de ma vie, j'ai juré que j'allais changer. Je ne me souviens même plus combien de fois j'ai dit que j'ai dit que j'allais le faire, ça remonte à mes quinze ans, quand je merdais et que je disais à mes parents que j'allais faire des efforts et changer pour de bon. Et dix ans plus tard, j'en étais toujours au même point. Donc ça fait un moment que tout ça aurait dû se produire.

Est-ce que tu as eu peur, à un moment, que le genre de morceaux que tu faisais, ne commence à tourner au gimmick ?
C'est clair que ça commençait à sonner comme un gimmick. J'avais l'impression de vivre un cliché. Je m'étais coincé moi-même dans une boite en continuant de refaire les mêmes morceaux encore et encore, sans que ça n'ait le moindre sens. J'en ai eu assez de ce trip et de toujours jouer les malades.

On dirait que tous les rappeurs blancs sont fous, comment tu expliques ça ?
Je ne sais pas trop. (Il regarde dans le vague puis me fixe avec un sourire étrange) C'est sans doute que tous les blancs sont barges.

Est-ce que c'était un défi pour toi de te lancer dans cet album ?
C'était un vrai challenge parce que, quand j'ai commencé à travailler dessus, je n'avais pas encore changé complètement. En fait, ce n'est qu'après avoir enregistré "Stripes" et "Too Heavy For Cherubs" que le changement a vraiment commencé à se faire sentir. J'ai pu commencer à extérioriser une partie de ce que j'avais sur le cœur. Une fois que j'ai eu bouclé ces morceaux et que j'ai pu parler de certains éléments de mon passé, c'est alors que j'ai vraiment commencé à changer. J'ai pu comprendre et apprécier un certain nombre de choses qui m'étaient arrivées, ou qui étaient arrivées à ma mère, d'une tout autre manière. J'ai passé une grande partie de ma vie à détester ma mère et à la blâmer pour ce que j'ai dû endurer. Me réveiller nuit après nuit à cause des mêmes cauchemars et essayer de mettre du sens dans tout ça, voilà ce qui a nourri cet album. Faire ce disque a été l'une des épreuves les plus difficiles de ma vie, parce que c'est tellement personnelle et intime. Ce n'est pas style ou un concept, c'est vrai.

C'était flippant de passer par tout ça ?
Ouais, c'était même terrorisant. Quand j'ai fini l'album, j'ai commencé à penser que c'était peut-être un suicide professionnel et que je n'aurais peut-être pas dû faire un truc pareil. J'étais parti tellement hors de mon élément. Quand toute ta vie, tu as été connu pour une chose en particulier et que tu te réveilles un matin en remettant en question tout ce que tu as accompli jusque là et que tu te rends compte que tu ne peux pas continuer comme ça, c'est vraiment flippant.

Quel titre a été le plus difficile à écrire ?
Sans aucun doute "Stripes" et "Too Heavy For Cherubs", parce que ce sont les titres les plus personnels. Par le passé, quand des gens venaient me voir et qu'ils me disaient "Hé, je kiffe ton album, c'est fort", je me disais que c'était cool, parce que le contenu était très limité. Mais maintenant, quand des gens viennent me dire "Hé, ton disque est mortel, c'est un truc de fou", c'est très étrange parce qu'ils connaissent tellement de choses intimes…

Est-ce que tu penses que tu aurais pu faire le même disque si tu étais resté chez Eastern Conference ?
Nan. Le truc pour moi, c'était justement de me barrer de Eastern Conference parce que la seule chose nouvelle que je faisais là-bas, c'était de vendre de moins en moins de disques parce que le label était en train de se casser la gueule. J'avais déjà Hell's Winter en tête mais je ne savais pas dans quel direction je voulais aller ni ce que je voulais en faire précisément. Tout ce que je savais, c'est que je voulais faire quelque chose de totalement différent de tout ce que j'avais pu faire avant. Definitive Jux était l'endroit parfait pour ça parce qu'ils sont justement reconnus pour la façon dont ils sortent des disques qui ne ressemblent à rien d'autre de déjà existant.

Cette fois, tu as eu l'occasion de travailler avec des producteurs différents, est-ce que c'était important pour toi ?
Oui, c'est clair. Je ne voulais surtout pas faire un album de rap classique dans le genre de ceux que E.C. fait. Avec 15 ou 20 rappeurs différents invités sur le disque, en espérant que tout ça fera vendre le truc. Je pense que les gamins sont bien trop futés et qu'ils sentent le coup fourré à 10 km. Ils savent que c'est bidon tout ça. Je pense d'ailleurs que c'est l'une des raisons pour laquelle les gens apprécient Def Jux, parce qu'ils sentent que c'est de la musique intègre, avec des paroles sensées. Eastern Conference faisait de bons disques pendant les années 90, ce temps est révolu et leur son est resté le même.

Quelle direction te vois tu prendre maintenant ?
Je n'en ai pas la moindre putain d'idée. Rien que le fait de pouvoir faire le tour du monde juste pour faire de la promo, c'est un truc complètement hallucinant pour moi. J'ai fait plus de presse pour cet album que pendant toute ma carrière. Musicalement, je pense m'orienter vers des trucs plus lourds. A mon avis, les mélanges entre rock et rap n'en sont encore qu'à leurs balbutiements. La plupart des gens qui ont fait des morceaux rock-rap, ne l'ont pas fait de la bonne manière ou ne se sont pas entourés des bonnes personnes pour le faire. Quand tu écoutes le résultat, ce sont toujours des rockers qui essaient de rapper mais qui ne savent pas le faire. C'est super mal fait. Sur le morceau "Shoot Frank", l'approche a été totalement différente. Ça ne sonne pas comme du rock & roll mais ça ne sonne pas non plus comme un titre de rap classique.

Dans trente ou quarante ans, comment est-ce que tu aimerais que les gens se souviennent de toi ?
Cette question est à la base même de cet album. Si je devais mourir demain, je ne voudrais pas que mes dernières paroles adressées au monde parlent d'un "rendez-vous avec ma bite" (il rigole). Les aventures de la queue de Chris Palko, tu vois le genre ? Quand j'écoute Movies For The Blind, j'ai l'impression d'avoir à nouveau 12 ans quand je me suis branlé pour la première fois et que je m'en suis vanté auprès de mes potes. Maintenant, je sors avec des nanas qui ne m'auraient même pas calculé à l'époque de Movies For The Blind et je n'en parle pas. Je suis dans un état d'esprit complètement différent. Je ne veux pas crever et que la seule chose dont se souviennent les gens soit que j'avais un certain talent pour jouer avec les mots et décrire mes expériences sexuelles et mes trips de drogué. Je déteste cet album maintenant, je hais le fait que je me sois donné en spectacle de cette façon. Je ne voulais pas qu'on se souvienne de moi pour ces choses là. Tout ça a joué un grand rôle dans la construction de cet album.

J'ai remarqué qu'il y avait plusieurs références à KMD sur l'album, comment ça se fait ?
Subroc était l'un de mes meilleurs amis. Je connaissais Doom, mais nous ne sommes devenus proches qu'à la mort de Subroc. D'ailleurs, Doom vient de me demander de faire un morceau sur lui. J'ai immédiatement accepté. C'est très émouvant et je ne veux pas me contenter de faire un morceau hommage cliché, genre "Putain mec, tu nous manques", tu vois ce que je veux dire ? Je veux revenir sur toute cette histoire et expliquer comment tout ça est arrivé. Je suis la dernière personne à avoir vu Subroc vivant. C'est quelque chose dont je n'ai jamais parlé avant. J'étais sur le point de faire un morceau à sa mémoire sur cet album mais quand Doom est venu me voir pour me proposer de participer à cet album de KMD, je me suis dis que c'était la meilleure place pour ce titre. J'étais là quand Zevlov X s'est métamorphosé en M.F. Doom. J'ai vu tout ça se produire. J'ai vu Doom perdre la raison quand son frère est mort. Il a choisi de porter un masque de fer et moi d'en mettre un transparent.

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